Retour d’expérience du Quartier Génial à Floirac
Une randonnée initiatique
C’est l’histoire d’une randonnée initiatique dans les bois touffus de la Mesure d’Impact Social. Un périple qui a réuni quelques novices autour d’un mentor, Annabelle Tallet, chargée de mission à Atis, et d’un tiers-lieu : le Quartier Génial à Floirac (33). Étudiants en master Économie Sociale et Solidaire et Innovation Sociale à Sciences Po Bordeaux, les apprentis (Louise Vidal, Alexis Barjou, Hadrien Maria et Noémie Robert) avaient pour mission d’initier une démarche d’évaluation d’impact social du tiers-lieu.
Il est attendu des tiers-lieux qu’ils prouvent leurs impacts sur leur environnement et sur les personnes qui les fréquentent. Mais comment mesurer les effets d’une rencontre ? Comment valoriser les coopérations ? Existe-il des outils pour prouver les retombées positives de la convivialité ? Les instruments de mesure de la performance ne correspondent pas à l’activité des tiers-lieux. Nous parlons ici d’impacts sociétaux qui influent les trajectoires humaines avant de générer des dynamiques économiques. La mesure d’impact social serait-elle l’outil adéquat pour mettre en lumière les bienfaits des tiers-lieux ?
Afin d’éclairer celles et ceux qui se questionnent sur l’évaluation d’impact social, nous avons choisi de vous partager notre cheminement. Nous espérons que nos tâtonnements débroussailleront le chemin devant vous. Contraints par le calendrier universitaire, nous avons dû nous interrompre avant la récolte des indicateurs. Cependant, notre itinéraire nous a permis de poser quelques balises, quelques étapes intermédiaires, sur le chemin de l’évaluation d’impact social. Bonne route !
L’impact social consiste en l’ensemble des conséquences (évolutions, inflexions, changements, ruptures) des actions d’une organisation tant sur ses parties prenantes externes (bénéficiaires, usagers, clients) ou indirectes de son territoire et internes (salariés, bénévoles, volontaires), que sur la société en général.
Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire
La preuve et la boussole : pourquoi mesurer son impact social ?
La mesure d’impact social met en lumière les conséquences sociales et environnementales imputables à des actions. Il s’agit de traduire, par des indicateurs, une valeur ajoutée non-commerciale, afin de démontrer celle-ci auprès de ses partenaires. C’est aussi une boussole qui peut aider à orienter ses actions. En interne comme auprès de ses partenaires, l’évaluation d’impact social offre un espace de compréhension et d’analyse des activités portées par les tiers-lieux.
Un chemin, plusieurs outils
Plusieurs outils (Les différentes méthodes d’évaluation peuvent être retrouvées sur le site de l’Avise) permettent de mesurer l’impact social : en fonction des objectifs de l’évaluation, l’outil choisi permettra d’orienter la démarche vers des résultats davantage qualitatifs ou quantitatifs. Pour notre groupe d’explorateurs, c’est la méthode de la théorie du changement qui a été choisie.
Un chemin commun peut être identifié entre les différentes méthodes : afin que les résultats aient de la pertinence pour tous, l’évaluation d’impact social étant une démarche à co-construire avec ses parties prenantes. Ainsi, une première étape est nécessaire : définir quelle est la promesse du projet.
Etape 1 : De la mission sociale à la question évaluative.
Pour définir la question évaluative de notre étude, nous cherchons à comprendre à qui cette évaluation est-elle destinée et quels en sont les objectifs pour la structure. L’étude des ressources financières et humaines disponibles permet aussi de choisir la méthode d’évaluation adéquate.
Pour élaborer notre question évaluative, nous rencontrons Marie-Laure Cuvelier cogérante de la Coopérative Tiers-Lieux et l’une des co-fondatrices du Quartier Génial. Au fil de l’entretien, nous comprenons qu’il est souhaité que cette étude génère un bilan de l’impact du tiers-lieu à destination de ses partenaires, et qu’elle permette de mieux cibler les actions à venir. L’objectif est aussi d’éclairer la démarche d’évaluation d’impact social pour les autres tiers-lieux. Notre question évaluative devra donc explorer un vaste territoire !
Nous la questionnons sur la mission sociale du Quartier Génial : un tiers-lieu, ça sert à quoi ? Pour qui ? Quelles en sont les promesses ? Les nombreuses pistes soulevées nous permettront de guider notre travail lorsque nous définirons les critères d’évaluation et leurs indicateurs de mesure.
La Coopérative Tiers-Lieux souhaite mesurer l’impact du tiers-lieu sur son territoire. Le Quartier Génial fait figure de zone tampon entre un quartier prioritaire, vulnérable et enclavé, et un territoire en transition, inscrit dans le programme d’aménagement Euratlantique. Le tiers-lieu se veut alors être un laboratoire de territoire, facilitant l’émergence d’initiatives portées par les utilisateurs.
Notre question évaluative sera donc la suivante : en quoi le « Quartier Génial ! » génère-t-il des transformations sur le territoire de Floirac ? Ou, autrement dit, quel est l’impact social d’un tiers-lieu sur son bassin de vie ?
Etape 2 : Identifier les parties prenantes.
La co-construction des critères de mesure avec les parties prenantes est l’un des éléments fondamental de la démarche. En aboutissant à une représentation partagée des impact recherchés, elle conforte la légitimité des résultats obtenus.
L’objectif de la seconde étape de notre itinérance est d’identifier l’ensemble des parties prenantes du tiers-lieu, puis d’aller échanger avec quelques-uns de ces acteurs afin de questionner leurs attentes, leurs perceptions du lieu et de ses impacts.
Après avoir listé l’ensemble des parties prenantes, nous les regroupons en quatre grandes catégories :
Etape 3 : la cartographie du changement
Cette cartographie représente l’évolution de critères d’impact social sur des parties prenantes à court, moyen et long termes. Sans moyens financiers et humains illimités, il est impossible d’étudier l’ensemble d’un projet : une sélection réaliste des critères pouvant être évalués est alors primordiale.
Pour chaque catégorie de parties prenantes, nous avons identifié un à deux critères majeurs à partir de l’objet social défendu par le tiers-lieu. Concernant les habitants, nos deux critères majeurs étaient ainsi la capacité à se réapproprier le territoire et le pouvoir d’agir. Pour ce qui est des résidents, les critères majeurs nous semblaient être le droit à l’activité et l’émancipation des acteurs via un processus d’individuation.
Pour chacun de ces critères majeurs, nous avons identifié leur déclinaison à travers le temps. Quelle serait la première étape d’une (ré)-appropriation du territoire à travers le tiers- lieu ? Quel est le parcours d’implication d’un coworker au sein du tiers-lieu ? Ces questions nous permettent peu à peu de mettre en lumière des critères subsidiaires. Enfin, nous déterminons quels seraient les indicateurs permettant d’évaluer le degré de réalisation de ces critères.
Pour ce qui est du parcours d’individuation du résident, le critère d’évaluation à court terme serait la réponse à un besoin individuel. L’amélioration des conditions de travail est un des indicateurs permettant d’évaluer la pertinence de la réponse. L’un des outils de recueil des informations peut alors être, dans le cadre du Quartier Génial, les données recueillies via le projet Art & Ergonomie.
Etape 4 : passage de témoin
Voilà venu le moment où notre équipe estudiantine passe le relais à la Coopérative Tiers-Lieux. La suite des aventures devrait prendre la voie suivante : rattacher les indicateurs identifiés à des outils de collecte de l’information. La collecte sera facilitée par l’inscription de ces outils dans la routine du tiers-lieu.
Les sources d’informations possibles sont multiples : enquête, rapports d’activité des structures résidentes, bases de données…Mais, pour être juste, l’évaluation d’impact social ne doit pas se limiter à des données quantitatives. Le témoignage du facilitateur, le ressenti des coworkers, la perception du lieu par les habitants, peuvent alors être des sources d’information légitimes. Une fois les informations recueillies, elles devront être analysées au regard des critères d’évaluation.
Coup de projecteur sur les résultats
Pour que les conclusions de l’étude ne restent pas un joli dossier caché au fond d’un tiroir, il reste à valoriser ses résultats. Et, si l’on peut adjoindre la mesure d’impact à son rapport d’activité, il est aussi possible de les valoriser grâce à une infographie, un rapport d’impact, une vidéo…
Soulignons ici un point de vigilance : il peut arriver qu’un partenaire retourne certaines conclusions de l’étude contre la structure qui a mené l’évaluation. Afin d’éviter certaines interprétations, il convient de bien clarifier quelles sont les cibles de l’étude pour adapter la façon dont sont présentés les résultats. (Quelques conseils de présentation sont disponibles dans le Guide de la mesure d’impact social, (Imp)prove, Fondation Rexel, octobre 2015)
En conclusion : L’évaluation d’impact social, une question d’endurance ?
Mener une évaluation d’impact social suppose de faire preuve d’une certaine endurance ! Aussi, le tiers-lieu souhaitant engager une étude aura le choix entre deux postures : rémunérer un prestataire extérieur, ou disposer de suffisamment de temps pour s’aventurer lui-même à mener la démarche. Afin de limiter l’impact de la charge de travail supplémentaire, il est conseillé de ne pas chercher à mesurer l’impact de l’ensemble des activités de la structure.
Enfin, rappelons que l’une des motivations à rejoindre un tiers-lieu est l’envie de faire autrement. Or, même si des “bonnes” et des “moins bonnes” pratiques sont peu à peu identifiées (Infographie Comment créer un tiers-lieu ? La Coopérative Tiers-Lieux, septembre 2014 et Rapport tiers-lieux à l’usage des collectivités, La Coopérative Tiers-Lieux, janvier 2018.), les critères de réussite de cette posture “hors les normes”, sont encore en construction : la concertation avec l’ensemble des parties prenantes pour définir collectivement quels sont les impacts sociaux attendus d’un tiers-lieu est donc primordiale.
Noémie Robert
Article extrait de la Revue sur les tiers-lieux #3.