Les réseaux locaux de tiers-lieux

Une cerise sur le millefeuille ? Les tiers-lieux vont-ils en rajouter une couche ?

Non contents d’être en lien avec les différentes chambres consulaires, d’être membres de la CRESS, de conventionner avec les multiples échelons des collectivités, d’être partie prenante de nombreux dispositifs aux acronymes tous plus compliqués les uns que les autres, de solliciter des fonds européens à la gestion sophistiquée (euphémisme), et d’être eux-mêmes suffisamment compliqués à animer au point de créer le métier de facilitateur… Voici que les tiers-lieux se mettent à développer, en plus d’une coopérative régionale, des réseaux locaux ! Sont-ils locos (spéciale dédicace à tous ceux qui vivent au Sud de la Région) ? Si l’on met de côté que les fruits confits sont souvent immangeables et que la saison des cerises est très courte, il s’agirait plutôt d’être la crème qui lie les diverses strates plutôt qu’un machin supplémentaire.

Explications raisonnables :

Avantage usager

Tout d’abord, si la Région Nouvelle-Aquitaine soutient la structuration de réseaux locaux, il y a fort à espérer qu’on attende autre chose de ceux-ci que de réinventer ce que fait déjà la Coopérative Tiers-Lieux. Cette dernière s’occupe des collectifs et de leurs structures, avec la fonction de tête de réseau, de laboratoire et d’école. Les réseaux locaux sont donc appelés à intervenir là où l’on constate des trous dans la raquette. En l’occur­rence, la Coopérative ne peut pas s’investir directement dans l’accompagnement ou le service aux utilisateurs des tiers-lieux. La maille régionale serait bien trop large. Par exemple, la Coopérative développe des formations liées aux métiers qui touchent à l’animation des tiers-lieux en général, construites sur des fondamentaux récurrents. Les réseaux locaux sont appelés à permettre l’accueil de formations plus spécifiquement adaptées aux besoins du territoires. Autre exemple : la Coopérative accompagne les tiers-lieux dans l’écriture de leur stratégie économique ? Les réseaux de tiers-lieux locaux peuvent agir directement au service de l’emploi ou du dévelop­pement économique du client, utilisateur, coworker, bénévole, consommateur… Le fond de l’affaire est clair : agir en local pour le développement des usagers.

Bassin d’activité

Et le premier avantage serait la montée en compétence pair à pair. Chaque collectif de tiers-lieu est constitué de person­nes aux savoirs et savoir-faire bien particuliers. Comment organiser la circulation de ces trésors ? Comment les auto­entrepreneurs, les TPE, les artisans ou encore les agriculteurs, s’échangent‑ils

des outils ou des techniques ? Et la question qui vient ensuite assez logiquement, comment partagent-ils avantageusement un bassin d’emploi et un marché commun ? Le maillage de tiers­-lieux que la Région et la Coopérative tentent de tisser (« un tiers-lieu à moins de 20 minutes de chez moi ») est pour le coup trop petit d’un point de vue économique. Quand on cherche du travail ou des clients, le rayon s’élargit. Le réseau local a donc vocation à s’étendre à l’aire d’activité de ses usagers.

Gagner ensemble des marchés à cette échelle, s’ouvre aussi la possibilité de répondre à plusieurs à des marchés, mises en concurrence, appels d’offres… Par exemple, la Smalah, dans les Landes, fait le lien entre la CCI et certains de ses coworkers afin que ceux-ci soient formateurs auprès d’entreprises locales sur de la création de site web, du graphisme, de la communication sur les réseaux sociaux. Ce « marché » ne peut-il pas être partagé avec les autres tiers-lieux des Landes afin que les formateurs de chaque lieu, puissent intervenir, quand cela relève de leur domaine d’activité, à proximité de chez eux ?

Prendre soin

Enfin, au delà de l’aspect économique, essentiel, crucial – la pérennité des tiers-lieux dépendra notamment de la bonne santé du business de ses utilisa­teurs – on pourra envisager la mutua­lisation de services culturels, sociaux ou encore médico-sociaux, qu’un tiers-lieu seul ne peut supporter. Un exemple ? Combien de cafés associatifs sont confrontés à la question de l’alcoolisme sans avoir les moyens de proposer une présence solide et professionnelle face à ce sujet ? Ou face à des situations de détresse sociale, évidemment que les tiers‑lieux

doivent être en lien avec les structures types CIAS (Centre Intercommunal d’Action Sociale) et autres du territoire. Mais n’y a-t-il pas des problématiques communes de cette nature sur lesquelles nous serions plus pertinents dans notre réponse aux besoins des usagers si nous étions constitués en réseau ? Encore un exemple : dans vos tiers-lieux, ne recevez­-vous pas régulièrement des personnes qui, à peine sorties d’un burn‑out, cherchent, encore chancelantes, à se relancer ? N’est-ce pas un sujet commun et une priorité commune que d’être en capacité d’accueillir au mieux tous ceux que la vie professionnelle a blessés ? Les réseaux de tiers-lieux sont une opportunité de mieux prendre soin des personnes qui les fréquentent.

Jeu territoire

Si l’on comprend bien l’intérêt de ces réseaux locaux, dans un esprit d’amélioration de l’offre de service aux usagers, on entendra forcément la critique suivante : vous vous engagez dans la création d’un couche sup­plémentaire alors qu’existent déjà beaucoup de réseaux locaux en tout genre. Réseaux d’acteurs de l’Education Populaire, clubs de créateurs d’entreprises, réseau de protagonistes de l’ESS, réseau de l’Insertion par l’activité économique… J’en passe. C’est vrai. Chacun a sa spécificité, et celle des tiers-lieux, c’est d’être des guichets de proximité, animés par des citoyens eux-mêmes, installés ici ou là par leur volonté et non en fonction de dispositifs X ou Y. Nous, les tiers-lieux, travaillons souvent avec ces différents réseaux, en ayant une implantation et une vitrine « locale », là où, malheureusement, beaucoup de services publics et de services tout court disparaissent. Il ne s’agit donc pas de se substituer ou d’ajouter, mais de canaliser. Le liant ! Les tiers-lieux peuvent être des points d’accès, des espaces de rendez-vous, des catalyseurs positifs de ces multiples couches de pâtes feuilletées. Donc, l’objectif d’un réseau de tiers-lieux peut être de coordonner, de faciliter, pour que toutes les actions des réseaux déjà existants soient toujours plus accessibles. A l’échelle d’un réseau local, tous les facilitateurs pourraient se former ensemble auprès de Pôle emploi, des missions locales, des CIAS, de la CRESS (Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire), des Départements, etc… pour rendre un meilleur service au territoire.

Croiser les dispositifs

Aussi, au-delà du rôle de vitrine, de point d’accès, ces tiers-lieux bénéficient ou hébergent des associations, usagers ou entreprises, qui bénéficient de ces dispositifs. Ne serait-il pas judicieux de répondre à plusieurs ? On voit bien que les fonctionnements en silos et le « saucis­sonnage » des actions ont des effets délétères. Combien de personnes ont des difficultés sociales engendrées par des problèmes économiques et combien de personnes ont des difficultés économiques en raison de problématiques sociales ? Les plus fragiles, notamment, ne peuvent être rangés dans une catégorie, comme si les problèmes qu’ils affrontaient étaient d’une seule nature. Les réalités sont bien plus complexes. Si les tiers-lieux s’entendent en fonction des compétences qu’ils réunissent et en tirant parti de leur différence, ils seront en capacité de mieux répondre à la complexité des situations de leurs usagers mais plus globalement de leur territoire. Parce qu’ils sont des espaces de participation citoyenne, et donc singuliers d’un village à l’autre, ils ont tout intérêt à croiser leur actions et donc les dispositifs d’aides économiques, sociales ou culturel­les qu’ils portent.

Small – and light – is beautiful

Enfin, nous croyons au principe de subsidiarité et à l’agilité des acteurs de terrain plus qu’aux superstructures qui détermineraient d’en haut ce qui est bon. La conviction de la Coopérative, c’est qu’il y a de l’intelligence et des talents dans tous les territoires. Que la créativité, l’in­novation, l’avenir, est dans le pouvoir d’agir des citoyens plus que dans les injonctions des superviseurs. Notre vision d’un réseau de tiers-lieux n’est certaine­ment pas de créer une énième institution qui dicterait la marche à suivre. Créer des réseaux de tiers-lieux demande du temps de coordination, de récolte d’informations et d’animation, certes, et donc des moyens. Mais ils ne doivent en aucun cas alourdir ni détourner les tiers-lieux de leurs actions locales. Ils doivent faciliter, rendre fluide. Ils n’ont pas vocation à faire à la place ni décider pour. Les tiers-lieux représentent une opportunité de développement des territoires résilients et des usagers dans leurs parcours de vie. Nous nous ef­forçons de les connecter entre eux. Notre vision coopérative et décentralisée prend tout son sens quand ses usagers se rassemblent au plus près des problèmes.    

Guillaume Riffaud, Coopérative Tiers-Lieux

Article extrait de la Revue sur les tiers-lieux #3.

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