Les tiers-lieux sont repérés sur les champs tertiaire et artisanal. Cependant, la Coopérative des Tiers-Lieux a identifié l’émergence de dynamiques aussi complexes dans le secteur primaire. Quand bien même la question de l’alimentation nous touche au quotidien – elle est visible dans nos frigos, nous demande une logistique d’approvisionnement hebdomadaire, façonne nos paysages – elle reste toujours à part. Le secteur agricole s’isole et semble s’engluer dans une situation peu satisfaisante pour les deux bouts de la chaîne “de valeurs” selon les termes conférés.
D’abord ceux qui produisent, les agriculteurs, vivent pour beaucoup sous le seuil de pauvreté, vendent à perte, s’endettent de façon effrénée pour alimenter le système duquel ils sont prisonniers, n’arrivent pas à transmettre à la fin de leur carrière. Bref un système global vicieux et maintenu par des lobbys dans un état latent, sans véritable changement de fond et réflexion sur la répartition de la valeur. On pourrait presque considérer le statut d’artiste-auteur qui, à l’instar des agriculteurs, fait vivre toute une filière de diffusion sans en tirer profit pour lui-même. Sans oeuvre, pas d’industrie culturelle, sans production, pas d’agro-industrie ! Un début de chaîne complètement appauvrie dans sa capacité à reprendre sa condition en main.
Selon le dernier recensement agricole français en 2010, quelques 200 000 actifs agricoles ont été perdus entre 2000 et 2010, soit une baisse de 26%. Pour chaque installation d’un agriculteur, on compte désormais 3 départs.
Le prochain recensement aura lieu cette année en octobre 2020. Et si on regarde les chiffres des actifs agricoles permanents ils continuent de baisser entre 2010 et 2016.
Un agriculteur sur cinq doit transmettre sa ferme hors du cadre familial. Outre la démographie, les autres facteurs limitants sont l’accès au foncier, le coût élevé de l’investissement de départ, le manque de réseau et de connaissance du territoire ainsi que le manque de formation. Suite au départ en retraite de nombreux agriculteurs, certaines fermes ne seront pas transmises en raison notamment de leur manque de viabilité économique.
L’enjeu principal n’est pas tant de transformer l’existant mais de créer des voies alternatives pour préparer les générations futures à investir le secteur de façon plus rentable, humaine et respectueuse de l’environnement.
L’aspect collectif et hybride des tiers-lieux est une des réponses à ces enjeux à la fois individuels, car ils touchent les professionnels à venir dans leur propre développement personnel et professionnel, et d’intérêt général pour garantir une autonomie alimentaire locale ; l’aspect collectif des tiers-lieux pouvant faire levier sur les questions foncières et organisationnelles. La plupart des agglomérations consomme 1,5 à 2% de productions agricoles locales. Les circuits longs ont encore de beaux jours devant eux et les grandes surfaces jouent encore un rôle dans le choix de l’approvisionnement de part leur capacité à proposer une offre globale, accessible financièrement et de proximité.
De plus, dans notre effort de maillage territorial néo-aquitain depuis 10 ans, certains territoires non couverts ne se révèlent qu’à travers la dimension agricole et cela sur des communes très petites situées en milieu rural (ex : Marnes (79), Ségur-le-Château (19), Abjat-sur-Bandiat (24), Cornil (19) etc.). La Coopérative des Tiers-Lieux y voit, non seulement une façon saine et pertinente de réaliser son contrat de finalisation du maillage régional avec la Région Nouvelle-Aquitaine, mais aussi d’intégrer une nouvelle dimension dans le secteur des tiers-lieux par nature transdisciplinaire.
Comment les tiers-lieux dit « nourriciers » participent à la re-communisation du fait agricole et en quoi les tiers-lieux sont des espaces d’expérimentations et de partenariats avec des agriculteurs locaux ?
Les enjeux généraux
- Participer au développement des capacités de résistance territoriale en autonomisant les territoires d’un point de vue alimentaire.
- Relocaliser le maraîchage de proximité notamment dans les zones périurbaines qui constituent un enjeu primordial en repensant le tissu des années 70 et 80 et en limitant la pression foncière.
- Produire autrement, collectivement, repenser un système coopératif agricole.
- Promouvoir la transition alimentaire auprès de la population.
- Régénérer les territoires ruraux en favorisant les installations à taille humaine et en repensant les paysages à travers une agriculture favorisant la biodiversité et la préservation des paysages (agroforesterie et gestion des eaux notamment…).
Les finalités
- Créer des laboratoires de la transition agricole et alimentaire afin de penser la résilience alimentaire des territoires.
- Des lieux-leviers de cohésion sociale et territoriale à travers une distribution repensée.
- Générer des vocations agricoles en proposant un modèle économique qui fonctionne (coopérations locales, installation facilitée…).
- Croiser le secteur agricole à d’autres secteurs d’activités (culturel, citoyenneté, mobilité, coopérations territoriales, artisanat…).
Les caractéristiques des tiers-lieux nourriciers étudiés
AXE AGRICOLE : installation paysanne, dynamique collective autour des pratiques agricoles, codéveloppement autour de la bio, micro-ferme, espace test agricole, agroforesterie
AXE ALIMENTAIRE : organisation alimentaire territoriale, Projet Alimentaire de Territoire et Système Alimentaire de Territoire, conserveries coopératives, marchés, paniers
AXE SENSIBILISATION & FORMATION : formation, tutorat, sensibilisation à l’environnement (tri, covoiturage, mobilité douce…), ferme ou jardin pédagogique et de pratiques, verger-conservatoire, énergie, permaculture
AXE LABORATOIRE : recherche, participation active des citoyens, paysages, circuits courts & déchets alimentaires, inventaire de la biodiversité, farmlab
AXE TOURISTIQUE : agro-tourisme et hébergement associé
AXE FONCIER : foncière agricole
Face à ces enjeux, nous remarquons l’émergence d’initiatives et de réflexions sur la capacité des tiers-lieux nourriciers à répondre aux problématiques évoquées précédemment. Toutefois, les expérimentations restent limitées et faute de connaissances et de modèles, les porteurs de projet demeurent souvent isolés.
La défense de l’agriculture paysanne ne passera pas que par les tiers-lieux mais par la capacité à faire la bascule avec les acteurs en présence. Il apparaît une urgence à s’occuper de la question du point de vue des politiques publiques pour amorcer une transition.
Lucile Aigron, Mélissa Gentile et Chloé Le Drogoff, Coopérative Tiers-Lieux