Mission coworking en territoire néo-aquitain

Nous étions seulement le 19 avril mais avions déjà le sentiment d’être en plein mois d’août avec un soleil de plomb et des coworkers qui lézardaient au soleil durant leur pause déjeuner ; de quoi donner l’impression à nos invités Parisiens que le Sud-Ouest vit à l’heure d’été toute l’année. Nous avions organisé une visite du Quartier Génial pour nos 3 convives ; Patrick Levy-Waitz, président de la Fondation Travailler Autrement, Marie Dalle-Molle, chargée de communication de la Fondation Travailler Autrement et Rémy Seiller, chargé de projets innovation publique au Commissariat Général pour l’Égalité des Territoires (CGET). Ils avaient fait le déplacement à Floirac dans le cadre de la Mission Coworking et Territoires confiée à la Fondation Travailler Autrement par Julien Denormandie, secrétaire d’état auprès du Ministère de la cohésion des territoires. Cette mission consiste à étudier le « phénomène » tiers-lieux pour inventer, penser, réfléchir à un mode opératoire qui ferait levier pour développer ces activités dans les villes moyennes. L’enjeu de cette visite était donc d’observer, de voir ce que l’on fait en Nouvelle-Aquitaine, comment les tiers-lieux avancent et quels sont leurs besoins. Il s’agit en somme d’un état des lieux de ce qui fait le succès, et aussi les échecs, des tiers-lieux.

L’heure tournant, les facilitateurs de tiers-lieux arrivaient en nombre au Quartier Génial pour participer à un après-midi d’ateliers d’échanges et de réflexion autour de 3 thématiques :
1. Partager sur le référentiel métier du facilitateur / animateur de lieu
2. Comment ouvrir davantage nos lieux pour faire venir les gens qui n’ont pas les moyens ?
3. Les tiers-lieux et la Qualité de Vie au Travail font-ils bon ménage ?

Nous avons pris place dans la fraîcheur de l’espace de coworking du QG, à la faveur de ses pierres bordelaises, pour ouvrir les discussions sur ces trois sujets.

Partager le référentiel métier du facilitateur / animateur de lieu

Depuis 2015, notre observatoire et notre formation au métier de facilitateur de tiers-lieux nous ont permis de constater que les tiers-lieux créent de l’emploi direct. À titre d’exemple, la moitié des tiers-lieux répondant à notre étude en 2016 affirment salarier au moins une personne sur un poste de facilitateur / animateur de l’espace. Un effet levier, en partie lié à la politique régionale qui, à travers son AMI tiers-lieux, permet de financer des postes en phase d’amorçage.
Nous avons voulu aller plus loin pour comprendre davantage à quoi ressemble cet emploi dans les tiers-lieux et démontrer qu’un nouveau métier émerge. Nous souhaitons faire reconnaître ce métier et créer un titre professionnel de niveau 2 afin de valoriser les facilitateurs, leur donner l’opportunité d’être diplômés et clarifier les limites du poste. C’est ainsi que notre collaboration avec CONFER a débuté en 2017, pour dessiner les contours d’un métier aux multiples facettes.
Le territoire regorge de lieux très différents les uns des autres avec des domaines d’activités variés ; l’enjeu a d’abord été de trouver des points communs en termes de compétences, puis des compétences spécifiques en fonction des activités développées dans les espaces. Cette analyse nous a menés à l’élaboration d’un référentiel de compétences métiers propres aux facilitateurs de tiers-lieux, à la croisée des chemins entre le dirigeant de structure de l’ESS, l’animateur territorial et le chargé de communication interne. L’objectif de cet atelier était de confronter notre analyse à celle des facilitateurs présents, en vue d’affiner notre observation et de faire remonter des éléments clés aux membres de la Mission Coworking.
Les participants ont insisté sur l’importance des compétences comportementales, aussi appelées « soft skills » pour les adeptes des anglicismes. On peut en retenir trois principales :
– Les tiers-lieux sont des entreprises ; l’une des spécificités du métier de facilitateur c’est d’abord une attitude à produire l’esprit entrepreneurial, voire à jouer un rôle d’ascenseur social pour les personnes qui fréquentent les tiers-lieux.
– Chaque utilisateur est dans un projet individuel mais aussi dans un projet collectif. Le rôle du facilitateur est donc de créer / maintenir une cohésion de groupe et de faire en sorte que les gens s’entendent. Le facilitateur devient en quelque sorte garant du bien-être collectif.
– Il y a aussi une nécessaire compétence d’adaptabilité car on ne peut pas prévoir ce qui va se passer dans un tiers-lieu.

Comment ouvrir davantage nos lieux pour faire venir les gens qui n’ont pas les moyens

Le tiers-lieu ne se cantonne pas aux espaces de coworking même s’ils sont en forte majorité. On voit de plus en plus d’hybridation des activités qui renforcent les modèles économiques, enrichissent les animations et interactions dans les lieux et favorisent la mixité des publics. Côté publics justement, on constate l’émergence de communautés spontanées faites de personnes qui « se remuent entre elles », créent des communautés informelles pour s’entraider et partagent le besoin de se retrouver dans un lieu dynamique. C’est le fondement des tiers-lieux et le meilleur ingrédient pour qu’un projet soit durable.

Lors de l’atelier, les participants ont soulevé la question de l’accueil des demandeurs d’emploi. Quelques lieux proposent une gratuité pour accueillir les personnes en recherche d’emploi, souvent en contrepartie d’une contribution en termes de gestion ou d’animation de l’espace (organisation d’un événement, permanences dans le lieu…) mais ce n’est pas systématique. D’autres tiers-lieux développent également des projets ponctuels pour accueillir les demandeurs d’emploi. C’est le cas notamment de la Textilerie à Bègles qui a développé le dispositif Capacités grâce à l’appel à projets tiers-lieux solidaires de la Fondation Orange. Ce dispositif vise à accueillir une centaine de jeunes décrocheurs pendant une semaine d’immersion lors de laquelle ils sont baignés dans une expérience textile leur permettant d’apprendre à manipuler des machines (pour floquer des t-shirts par exemple). C’est également l’occasion de les faire rencontrer des professionnels venus partager leurs expériences d’entrepreneurs avec ces jeunes. C’est un beau moyen de les remettre en action et de les rendre contributeurs d’une activité positive sur leur territoire.

« Les gens surdiplômés dans les tiers-lieux il y en a plein ; si on veut attirer de nouveaux utilisateurs il faut aller dans les quartiers où il ne se passe pas grand chose »
Au QG à Floirac, on organise des temps de rencontres et des animations pour les jeunes du quartier que l’on a détectés par le biais de l’Ajhag (Association Jeunesse Haute Garonne) ; ils viennent par exemple contribuer lors des chantiers participatifs. Dès le premier trimestre 2019 nous envisageons de développer pour eux et d’autres décrocheurs scolaires une formation Grande École du Numérique afin de les former au métier de médiateur numérique. Nous souhaitons d’ores et déjà organiser au printemps une rencontre avec les stagiaires de cette formation qui se déroule actuellement à la Smalah (dans les Landes) pour permettre aux deux groupes de stagiaires et futurs stagiaires de se rencontrer en pair à pair.

Les tiers-lieux et la Qualité de Vie au Travail font-ils bon ménage ?

Les tiers-lieux, par tout ce qu’ils font « autrement », sont des lieux d’innovation. Pourtant, peu d’entre eux ont le réflexe ou les moyens de se poser la question des conditions de la réalisation du travail en leur sein. Par ailleurs, les tiers-lieux sont peu sensibilisés à la question de la prise en compte des risques professionnels ou à l’accessibilité des lieux aux personnes en situation de handicap. Et pour cause, cela nécessite des connaissances techniques, des compétences spécifiques et des ressources matérielles généralement hors de leur portée au démarrage. Ces questions se posent souvent sur le tard, lorsque le premier télétravailleur salarié pousse la porte et questionne de fait la responsabilité du tiers-lieu en matière d’accueil d’une personne salariée.
Pour améliorer leurs pratiques, nous menons depuis plusieurs années des réflexions communes avec l’ARACT Nouvelle-Aquitaine afin de sensibiliser et outiller les tiers-lieux volontaires.

Si on sort de l’aspect réglementaire, on voit bien que le tiers-lieu est un vecteur de Qualité de Vie au Travail pour les personnes qui le fréquentent. Il permet de se déconnecter, de mieux compartimenter vie professionnelle et vie personnelle, de travailler plus près de chez soi, moins seul et de manière souvent plus productive. Alors pourquoi y trouve-t-on une majorité de professionnels indépendants au détriment des salariés ? Dans les tiers-lieux du réseau on observe depuis 3 ou 4 ans une nette évolution du nombre de salariés accueillis ; de 1% à 2% en 2013 certains lieux accueillent aujourd’hui 30% à 50% de télétravailleurs salariés. Mais cela n’est pas une généralité.
« L’expérience tiers-lieux » vécue par des salariés peut également faire bouger les lignes de fonctionnement des entreprises, à conditions que les managers y soient préparés et ouverts. Cela génère d’ailleurs plus souvent des craintes que des opportunités au sein des directions ; crainte du manager paternaliste / vertical, peur de lâcher prise, peur de perdre un salarié qui aura préféré le collectif de travail du tiers-lieu à ses propres collègues… mais les choses bougent ! Et pas seulement les mœurs, la loi aussi évolue en faveur du télétravail ; l’ordonnance Penicot impose désormais à l’employeur de justifier son refus de demande de télétravail de la part de son salarié.
L’un des enjeux de notre travail avec l’ARACT Nouvelle-Aquitaine est d’engager les entreprises à permettre le télétravail de leurs salariés en tiers-lieu pour gagner en qualité de vie. On constate une réelle évolution des pratiques et la prise en compte du sujet par les organisations mais le chemin est encore long, notamment parce que, dans le meilleur des cas, cela nécessite d’accompagner le changement de cap auprès des managers et des salariés, et dans le pire des cas, cela suppose de changer la culture managériale d’une structure… et là, comme on dit, « Rome ne s’est pas faite en un jour » ! Alors continuons, persévérons et observons patiemment.

Un riche séjour

La résidence néo-aquitaine de la Mission coworking et territoires s’est terminée comme elle avait commencée ; sous le soleil et dans la bonne humeur, un « brin » de découvertes en plus.. enfin, c’est un euphémisme. Nos trois invités sont restés 48h dans notre région et on eu l’occasion de :
– rencontrer une trentaine de facilitateurs de tiers-lieux ;
– participer à 4 heures de débats et discussions sur des sujets de fond au coeur des préoccupations actuelles des gérants et porteurs de projets ;
– échanger avec Mathieu Hazouard, Conseiller Régional délégué, en charge de l’Economie Numérique et du Très Haut Débit, au sujet de la politique publique régionale en faveur des tiers-lieux ;
– visiter et découvrir 4 tiers-lieux aux couleurs totalement différentes.

Merci à Pascale Sequier de Pôle Emploi et à Marion Deffez de l’ARACT Nouvelle-Aquitaine pour leurs présences et interventions lors des ateliers.
Merci aux nombreux participants des ateliers : Sandra Prieto, Marie-Pierre Coulaud, Stéphane Vogelsinger, Juliette, Noémie Robert, Eugénie Michardière, Patrick Rey, Clément Bellin, Maya, Pascal Menut, Valentine Bonnard, Solène, Justine, Cathy Dabord, Anne-Laure Boisseau…
Merci aux supers facilitateurs et facilitatrices qui nous ont accueilli dans leurs tiers-lieux à l’Arrêt Minute à Libourne, Coeur de Bastide à Ste-Foy-la-Grande, Bastide Numérique à Ste-Foy-la-Grande et Simone & les Mauhargats à St Macaire.

Le rapport final de la Mission coworking et territoires sortira à l’été 2018. Si vous souhaitez l’alimenter vous pouvez partager votre expérience sur http://mission-coworking.fr

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