L’action sociale dans les tiers-lieux, par le travail

Notre temps de regroupement à Brive-la-Gaillarde en Corrèze en fin d’année dernière nous a permis de travailler sur l’action sociale dans les tiers-lieux. L’enjeu était d’identifier en quoi les tiers-lieux produisent un nouveau cadre collectif de l’action sociale à destination du développement des individus qui les fréquentent et en écho avec les aspirations et les évolutions de la société.

En 1991, le sociologue François Héran, professeur au Collège de France, proposait dans la Revue Française de sociologie, d’en finir avec “sociétal”. En 2017, le chercheur et professeur de philosophie à l’Ecole Normale Supérieure, Frédéric Worms, se fendait d’une tribune dans Libération pour s’interroger : “qu’est-ce que le sociétal ?” Aussi, depuis plusieurs années, l’essayiste et journaliste Jean-Claude Guillebaud, à intervalles réguliers, rappelle à la gauche sociale-démocrate qu’elle s’est planquée derrière les réformes dites sociétales pour ne pas assumer ses promesses sociales. Alors, alors… Les tiers-lieux interviennent-ils dans le champ du social ou comme une formidable innovation sociétale ?

Vous l’aurez compris, derrière la bataille des mots se profile un questionnement de fond et nous ne comptons pas rester en marge de celui-ci. L’acception devenue courante du mot social renvoie désormais à l’action en faveur des plus pauvres, des plus fragiles. Le néologisme sociétal, issu de l’anglais – sa forme en tant que mot n’est pas du tout classique en langue française – toucherait à ce qui relève de la société toute entière. Les moeurs, les mariages, l’éducation, tout ça, ça serait du sociétal. Les cassos, les migrants et les dézingués de l’existence, du social… On parle d’inclusion mais on invente des mots pour pouvoir traiter les plus fragilisés comme un sujet à part de la société, quelle drôle de façon de faire ! Mais peut-il exister une vision de la société, une pensée sociétale, qui n’intègre pas la question de la place de ceux que la vie maltraite ? Peut-il exister une action sociale qui soit décorrélée de la vie de la société toute entière ? Social et sociétal ne sont-ils pas plutôt liés et indissociables?

Ainsi, le titre de notre journée de travail de décembre et cet article aurait pu être :“l’action sociétale” des tiers-lieux. Il se trouve que dans d’innombrables tiers-lieux, l’envie d’hybrider, de mixer, de travailler avec plusieurs générations, fait que nous ne voulons pas distinguer, diviser, ce qui relève de la solidarité, du social, de la culture ou encore de l’économie. On a séparé totalement l’économie de la question du sens, de la philosophie et de l’anthropologie. Résultat ? On parle de centaines de milliers de “bullshit jobs”, qui n’ont aucun intérêt et mène les travailleurs au bore out. On a séparé la question sociale de l’économie et par une affligeante “banalité du mal”, on se trouve à agir, à consommer, de manière totalement contradictoire avec ce que nous pensons juste, mais parce que c’est “mon taf”. Idem pour l’écologie dont on a fait un sujet à part alors qu’elle est de toute évidence intriquée, imbriquée, dans l’ensemble de nos activités. On pourrait malheureusement faire la liste de nos incohérences et l’on en serait bien triste.

Alors non ! Ne séparons plus les tiers-lieux comme réalité sociale collective (qu’on aurait désigné de sociétale) d’un côté, de leur responsabilité sociale là où ils se trouvent. Selon leur moyen, leur capacité, leur maturité, leur culture et leur environnement, tous sont appelés à ouvrir l’expérience humaine constructive du partage à ceux qui en sont à priori éloignés. Nos modes de vie, la dimension sociétale de nos existences, ne peuvent s’entendre sans prendre en compte notre relation aux exclus, aux blessés, aux zinzins, aux différents, aux essoufflés, aux coureurs de fond autant qu’aux sprinteurs… Tout cela est lié et nous sommes tou(te)s un peu de tou(te)s ceux(celles)-la.  

La plus-value des tiers-lieux ne réside pas dans ses murs, dans sa connectivité, dans sa moquette ou dans sa surface, mais dans la qualité des interactions sociales entre ses membres. Le tiers-lieu est d’abord et avant tout une expérience sociale et, inspirés par ceux qui font au quotidien, notre coopérative invite tous les tiers-lieux à poursuivre cette expérience sociale en l’ouvrant toujours davantage à ceux qui n’y ont pas accès facilement.

Pour nous, l’action sociale et/ou sociétale des tiers-lieux est une même réalité et sonne comme une excellente nouvelle : il fait bon vivre ensemble ! Et cela commence souvent par l’expérience du travail.

Ah bon ? Mais alors, quel est le lien entre cette action sociale/sociétale et le travail ?

La plupart des tiers-lieux que nous connaissons, ont d’abord vu le jour comme des espaces de travail partagés. La question du travail y est donc centrale. Par travail, nous entendons, plus largement que l’emploi, toutes activités, de production de biens ou de services, marchandes et non marchandes, qui transforment le monde. L’excellent documentaire « Travail, salaire, profit » de Gérard Mordillat et Bertrand Rothé sur ARTE permet de retracer l’origine et le sens commun du mot travail.  

Aussi, selon Serge Jamgotchian (JAMGOTCHIAN S., docteur en ergologie, A propos des Tiers-Lieux : travailler au sein de nouveaux espaces d’activités industrieuses, Ergologia, nÅã11, mai 2014), ergologue et chargé de projet à la conciergerie responsable Terre Active, les tiers-lieux sont fréquentés par des professionnels mais aussi par ceux qu’il appelle « amateurs » et dont les activités ne relèvent pas du rapport “effort contre rémunération”.  “Ce qui distingue l’amateur du professionnel, c’est moins sa plus faible compétence qu’une autre forme d’engagement dans les pratiques sociales. Ses activités ne dépendent pas de la contrainte d’un emploi ou d’une institution, mais de son choix.” Si les espaces de coworking sont fréquentés majoritairement par des travailleurs dans le cadre d’activités professionnelles, ils sont par principe ouverts à d’autres publics, pouvant exercer d’autres types d’activités : des étudiants, des demandeurs d’emploi, des retraités, des bénévoles etc…

En s’appuyant sur les travaux de ses collègues, l’auteur rappelle enfin que ces amateurs ne sont pas sans évoquer les ouvriers qui, après la seconde guerre mondiale, au cœur de l’entreprise taylorienne, faute de pouvoir s’épanouir dans leur tâche, s’investissaient dans des activités latérales pour retrouver initiative, responsabilité, achèvement… Le travail au delà de l’emploi, comme possibilité d’épanouissement, d’émancipation, et de vie sociale…

La double dimension contradictoire du travail, à la fois source d’aliénation et acte social porteur d’émancipation.

Les économistes atterrés, faut-il un revenu universel ? Editions de l’atelier

Ce que nous observons dans les tiers-lieux, c’est donc une proposition de renouvellement du rapport au travail, avec un bouleversement des codes et des frontières qui nous ont été imposées ces 200 dernières années. Ré-unifier, retrouver la cohérence, entre notre activité et notre rapport à la nature/aux autres. Au delà de la conjoncture actuelle et des bouleversements liés au nouvelles technologies, où les notions d’espace-temps se troublent et explosent les codes de l’entreprise (distanciel ≠ présentiel, bureau personnel ≠ espace ouvert, éloignement du domicile ≠ proximité familial), le tiers-lieu questionne la relation de l’humain à ses activités. Dans le quotidien, chaque individu est invité à penser sa relation avec de vrai-faux collègues, choisir les dynamiques collectives dans lesquelles il a envie de s’investir, répondre aux sollicitations à participer et à l’engagement sur des sujets divers et variés, participer avec les autres acteurs du tiers-lieu au développement local….

Paradoxalement, notre société individualiste a divisé ce qui devrait être indivisible par principe, l’individu. Nous vivons en “morceaux détachés” (André Gorz – Vers la société libérée) sans que les différents pans de la vie ne soient obligatoirement cohérents les uns avec les autres. On nous dit de ne surtout pas confondre vie personnelle et vie professionnelle ! On nous dit que nous sommes remplaçables dans nos emplois mais que nous ne le sommes pas dans la vie “personnelle”. Comme un autre monde, a-personnelle. Découper notre vie, détacher, segmenter, comme dans l’organisation scientifique du travail… Chacun sa tâche, chacun son couloir, que notre main droite ignore ce que produit la gauche… Et donc, dans le champ de l’éthique, celle dans la vie “pro” devrait être totalement dissociée de celle dans la vie “perso” ? Une éthique professionnelle qui ne serait pas personnelle ?  

Ce que nous observons dans les tiers-lieux, c’est une donc une proposition de renouvellement du rapport au travail, avec un bouleversement des codes et des frontières qui nous ont été imposées ces 200 dernières années.

Lucile Aigron et Guillaume Riffaud

La force de la “proposition tiers-lieu” réside peut-être là. Avec plus ou moins de succès et de réels échecs, on cherche à redonner à l‘individu la possibilité de se réapproprier certains fragments de vies et de les lier entre eux. Dans l’expérience qui est proposé, l’individu-indivisible redevient alors une trame d’émancipation. Raccrocher les wagons du travail, de la vie familiale, de la vie amicale, de l’engagement, de la conviction, de l’éthique… Sans être dans la confusion entre ces différentes choses (en aucun cas), se donner la possibilité d’une cohérence renouvelée entre toutes. Et donc sortir d’une vision étriquée du travail comme une simple transaction économique – ce que les Français ne veulent plus d’après d’innombrables études, et tout particulièrement les jeunes – pour le repositionner comme une action sociale et écologique choisie, dans un rapport conscient aux autres et à l’impact de sa propre production.

Evidemment, ce n’est pas simple. Bien sûr que tout le monde ne peut pas si facilement reprendre le contrôle sur son emploi ! Il y a des forces objectives qui le refusent aux travailleurs. Et bien sûr que ceux qui font les travaux les plus désagréables sans l’avoir choisi, donc beaucoup de monde, peuvent bien légitimement prendre de la distance avec leur labeur. Comment ne pas percevoir qu’il s’agit d’un facteur d’aliénation dans de nombreux cas ? Il va de soi que le contexte de grève actuel, doit nous éveiller aux souffrances et à la pénibilité injuste qui reposent sur certaines épaules plus que sur d’autres… Le tiers-lieu n’est pas la solution à tout et pour tou(te)s. Cependant, dans la tradition des SCOP et de la culture coopérative, dans une époque où les télétravailleurs isolés, les auto-entrepreneurs, les indépendants, les freelances en tout genre, sont légions, il peut permettre à ceux qui les fréquentent de trouver mieux que la solitude pour questionner le sens de ce qu’ils produisent.

Super ! Et concrètement, on fait comment ?

C’est une histoire de parcours, de collectifs et de perspectives. Le travail dans un espace de coworking relève de la consommation. Une transaction économique, entre une personne qui cherche un bureau et un certain nombre de services, et une fournisseur/loueur/prestataire. Il nous semble que la bascule se fait, que l’on peut parler de tiers-lieux, quand la proposition faite à chaque coworker va au-delà de la prestation dite “professionnelle” et se conjugue au personnel. Un troisième lieu, entre la maison et le bureau, ça ne vous dit rien ? Quand le service à l’individu devient un chemin à parcourir, dans une expérience collective, sans perdre de vue l’intérêt général.

Pour être plus clair, décomposons un peu. Quand on dit chemin à parcourir, c’est un chemin d’individuation ou d’individualisme (selon qu’on se nourrit des écrit de Jung ou de Singly…), que la personne choisit de parcourir délibérément pour elle-même. L’émancipation et le bien-être en sont deux composantes, qui s’acquièrent pas la connaissance de soi, du monde qui nous entourent. Les tiers-lieux de Nouvelle Aquitaine proposent des services pour améliorer les conditions de la vie professionnelle autant que personnelle, de la formation au yoga, en passant par l’accompagnement, l’aide au retour à l’emploi ou à la création d’entreprise, etc… Être et devenir soi par l’activité – dont l’oisiveté contemplative parfois ! Au sujet de l’expérience collective, nous parlons de gestion commune, de gouvernance partagée, de démocratie, de partage des tâches, d’animation commune, de réalisations et de projets professionnels à plusieurs, etc… En cohérence avec la dimension individuelle évoquée précédemment, la gouvernance partagée participe de cette réappropriation de son son pouvoir d’agir par l’individu. Si l’entreprise propose trop souvent des normes et des standards en plus d’une hiérarchie pyramidale, l’expérience collective au sein du tiers-lieu ne doit pas raboter les égos ou niveler la diversité des personnalités, mais au contraire permettre à chacun de participer très effectivement en apportant toute sa singularité. Enfin, la perspective de l’intérêt général, c’est l’aboutissement de la réconciliation des pans de nos activités. On ne produit pas seul ou ensemble, des biens ou des services qui iraient contre les deux points précédents, ni contre le monde qui nous accueille, et plus particulièrement le territoire où l’on vit. Le tiers-lieux ne se définit ni comme service individualiste (au sens consumériste et égocentrique du terme), ni comme pratique communautariste au service de son unique communauté. Le tiers-lieu s’inscrit dans un espace qui le dépasse, sur une planète que certains voient bleue, et donc interagit socialement et écologiquement avec son environnement. 6% des tiers-lieux néo-aquitains sont labellisés espace de vie sociale et plus de X% d’entre eux proposent très nombreux services d’intérêt général. Maison de services au public, écrivain public, médiation culturelle ou numérique, dynamique de transitions écologiques, etc…

Bien d’autres acteurs interviennent dans le champ de l’intérêt général et portent une action sociale, mais la spécificité des tiers-lieux n’est-elle pas de poser le principe d’une action sur ces trois dimensions (intérêt individuel, intérêt collectif et intérêt général) en posant le travail comme pivot de l’ensemble ? Serait-ce la colonne vertébrale des tiers-lieux, sociaux et laborieux par nature ? Non sans difficultés, c’est bien le cadre collectif des tiers-lieux qui doit permettre de réaliser cette bascule et de permettre aux individus de se développer dans cette optique. Ce n’est qu’au travers d’une mixité sociale et d’une gestion collective des conflits – ainsi que de l’acceptation d’une transition – que “l’expérience tiers-lieu” pourra s’opérer. Rendre accessible aux plus fragiles les tiers-lieux, sans les avoir choisis en tant que fragile, mais en tant que “soeurs ou frère en humanité”, parce que le tiers-lieu tend vers l’intérêt général, nous amène au questionnement sur le sens de l’adelphité (sororité ou fraternité au neutre). Et donc des modalités sociales de notre époque, des modes de relation entre les citoyens. Avec la CNAF et les acteurs historiques de l’action sociale nous avons abordé la question centrale de la famille et de ses évolutions. Les politiques familiales tendent à évoluer avec les nouveaux marqueurs : famille monoparentale, famille recomposée, famille nucléaire… qui interrogent les notions de filiation, de choix d’alliances et d’adoption. Là aussi, il s’agit de réconcilier, non pour revenir en arrière, mais pour trouver des issues collectives à l’atomisation de nos sociétés.

Qu’en est-il de la famille élargie ? Ces nouveaux cercles, les tiers-lieux, peuvent-ils correspondre à travers leurs interactions sociales, à un élargissement du cercle familial voire, pour certains, plus isolés, à être le seul cercle social ? Est-ce que la dimension famille est priorisée dans les tiers-lieux autant que celle du développement professionnel ?

Signe d’une prise de conscience dans les tiers-lieux qu’un projet social doit s’écrire dans cette perspective, 6% des tiers-lieux néo-aquitains sont reconnus par la CAF dans le cadre d’espaces de vie sociale. Un label qui n’a que son nom puisque la CAF s’attache davantage à la méthode et au processus d’écriture qu’à la façon de le mettre en oeuvre ou dans des caractéristiques techniques immuables. En effet, la démarche de reconnaissance passe par un diagnostic partagé préalable et cela en lien avec les collectivités locales et dans une relation de complémentarité avec l’existant, centre sociaux y compris. Encore très détaché de l’aspect professionnel, le nouveau terrain du travail n’y est pas reconnu complètement dans les projets d’Espaces de Vie Sociale pensés par la CAF qui alimentent davantage ce qui l’entoure ou permettent seulement une ouverture plus large.

La cohabitation d’un projet EVS d’un espace de travail dans un même lieu suffira-t-elle à répondre aux enjeux d’individuation comme il a été présenté plus haut ?

C’est à travers les exemples qu’il nous est possible de tenter de répondre à cette question. Cette nouvelle configuration nous oblige à penser nos critères et nos mesures d’impacts en dehors des cadres financiers ; plusieurs dispositifs combinés pouvant mener à cette forme de réalisation.

Le dernier exemple est celui de la société coopérative Le Temps de Vivre qui oeuvre depuis plus de 6 ans qui vient d’être labellisé Espace de Vie Sociale à Aixe-sur-Vienne en Limousin. Fort d’expériences, de mélanges des sujets et des publics, le Temps de Vivre porte depuis le départ un projet de transition qu’il soit personnel ou à l’échelle de la nature. C’est autour de ces enjeux que le projet a été reconnu par la CAF.

C’est cette démarche de préfiguration qui a permis de mettre en place une instance de pilotage avec des institutions locales. La CAF facilite la co-écriture en arbitrant avec l’association porteuse quels sont les interlocuteurs privilégiés à mettre autour de la table : MSA, DDCSPP (cohésion sociale de la population), usagers du lieu, etc…

La recherche d’un projet pertinent et utile socialement recouvre certains fondamentaux des tiers-lieux. D’abord rendre possible l’intégration des personnes qui n’auraient pas poussé la porte spontanément en augmentant l’accessibilité à travers un accueil facilité et/ou des coûts réduits. D’autre part, même si les tiers-lieux ne sont pas toujours équitables, dans le sens où aucun coefficient familial n’est à la base d’un calcul d’entrée, le modèle social des tiers-lieux résident encore dans sa capacité à capter des locomotives économiques susceptibles d’accueillir les plus fragiles. La grande différence des tiers-lieux avec les loueurs de bureaux traditionnels résident dans le fait que l’économie générée par la location d’espaces doit permettre la création d’un projet social. Son économie est détournée en faveur de la création de communs.

Quant à la Quincaillerie à Guéret en Creuse qui n’est pas reconnue comme Espace de Vie Sociale mais comme Tiers-Lieu Solidaire par la Fondation Orange, le projet porté par la ville répond davantage à un intérêt général avec pour publics prioritaires les décrocheurs scolaires, les femmes isolées / éloignés de l’emploi, la médiation numérique notamment auprès des associations. Ce lieu public avec principe de gratuité brasse large en accueillant aussi des personnes qui sont issues des accueil d’urgence la journée qui viennent pour boire un café, se connecter à internet, trouver un lieu refuge pour discuter et rencontrer des gens. A noter que les salariés de la Quincaillerie ne sont pas des travailleurs sociaux.

Autre endroit, autre projet. Non loin des spots de surf landais, à La Smalah de St-Julien-en-Born, se développe pour les enfants un parcours d’ateliers d’initiation à la programmation informatique, à la robotique ainsi qu’à la réalité virtuelle et augmentée. L’autre brique du projet c’est le café associatif qui a ouvert ses portes en février 2016 en plein coeur du village. Il est rapidement devenu le repère des habitants grâce aux innombrables activités développées : un groupe de parole, un atelier guitare, des ateliers de tricot, des « coding-goûters », des ateliers autour de l’alimentation, des temps festifs le week-end… C’est ainsi que la CAF a repéré l’association qui répond, à travers ses nombreuses activités, aux enjeux de création de liens sociaux et d’inclusion en favorisant la « mise en capacité » des usagers. La dimension intergénérationnelle, le soutien à la parentalité et la médiation numérique sont trois des principaux critères qui ont justifié de ce partenariat. 

Il est important de préciser que la démarche d’agrément par la CAF doit s’inscrire dans un projet social et non comme une finalité financière pour le tiers-lieu. Au 400, à Brive-la-Gaillarde, le projet social est une continuité naturelle des actions déjà mises en oeuvre par les habitants du tiers-lieu. Plus globalement, c’est l’occasion pour les tiers-lieux d’accueillir tous types de publics et de créer des temps d’animation qui favorisent le croisement entre des personnes d’horizons différents.

Le risque, le très grand risque, c’est l’illusion… « Cette nouvelle économie (…) pourrait entraîner certaines déviances, telles que de nouveaux risques professionnels, ou dégrader les conditions de travail en facilitant la pénétration du travail dans toutes les sphères de la vie de l’utilisateur de ces lieux, ou encore réduire sa capacité à se déconnecter à volonté » (Scaillerez, Tremblay, 2017). Ce risque ne saurait être pris à la légère. Déjà, Google a développé son Googleplex et Raphaël Besson rappelle toute la pertinence des propos du philosophe André Gorz qui analyse ce cas d’étude : « on peut y faire ses courses, confier ses enfants à la crèche ou au jardin d’enfant de l’entreprise, ses vieux parents à la garde de personnel qualifié, on peut y pratiquer divers sports, méditer, faire la sieste, aller chez le coiffeur, recevoir des soins dentaires, prendre ses repas, sculpter, peindre. Les rapports entre collaborateurs sont cordiaux, égalitaires et se prolongent dans le hors travail. De sorte qu’il n’existe plus de perte de temps, toute la vie fait partie du travail et le travail est toute la vie » (Besson, 2016). Mais qui est le maître du travail dans ces cas-là ?

Il ne faut pas nécessairement relire le Capital (Marx, 1867) ou regarder les Temps Modernes (Chaplin, 1936) pour se rendre compte que la question du travail est un problème dans nos vies. Devoir travailler à la sueur de son front, n’est-ce pas la punition d’Adam et Eve après avoir croqué le fruit défendu ? Les tiers-lieux seraient-ils des lieux de torture qui s’ignorent ? Si en plus, nous prétendons que notre action sociale passe par le travail, serions-nous les idiots utiles qui ramènent dans le droit chemin de l’effort ceux qui en seraient exclus ? Malheureusement, notre planète a déjà beaucoup subi, mais peut-être peut-on voir l’urgence écologique une occasion salutaire de réinterroger nos activités et leurs conséquences. Nous expérimentons en restant vigilants.

Lucile Aigron et Guillaume Riffaud, Coopérative Tiers-Lieux

Article extrait de la Revue sur les tiers-lieux #5.

Espace de vie sociale

Quelques éléments de contexte s’imposent :

L’espace de vie sociale est une structure associative de proximité qui touche tous les publics, a minima, les familles, les enfants et les jeunes. Il développe prioritairement des actions collectives permettant :

– le renforcement des liens sociaux et familiaux, et les solidarités de voisinage ;

– la coordination des initiatives favorisant la vie collective et la prise de responsabilité des usagers

En 2013, un peu plus de 850 structures de proximité avaient un agrément « espace de vie sociale ».

Un espace de vie sociale est un dispositif visant à soutenir des structures sociales de proximité.

Au travers de son projet et de ses actions, l’espace de vie sociale poursuit trois finalités de façon concomitante :

– l’inclusion sociale et la socialisation des personnes, pour lutter contre l’isolement ;

– le développement des liens sociaux et la cohésion sociale sur le territoire, pour favoriser le « mieux vivre ensemble » ;

– la prise de responsabilité des usagers et le développement de la citoyenneté de proximité, pour développer les compétences des personnes et les impliquer dans la vie sociale.

Autres caractéristiques d’un espace de vie sociale :

– il est géré exclusivement par une association ;

– ses champs d’action doivent être multiples et adaptés aux besoins du territoire ;

– son activité se déroule tout le long de l’année.

Pour aller plus loin…

Notre système de protection sociale n’a pas échappé aux réformes engagées en Europe dans le contexte de crise. Il est perçu à la fois comme rempart à la crise et comme un obstacle à une reprise économique. L’Harmattan – Novembre 2012

Les associations au coeur de la protection sociale

L’évolution de la société est devenue tellement rapide qu’elle entraîne de multiples questions quant au présent et à l’avenir. Sommes-nous face à un changement liée à la mondialisation, à l’accélération de la communication […]. Dunod – Avril 2016

Naissance d’une nation multiple et divisée

En quelques décennies, tout a changé. La France, à l’heure des gilets jaunes, n’a plus rien à voir avec cette nation une et indivisible structurée par un référentiel culturel commun. Seuil – Mars 2019

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