Accueillir en tiers-lieux : réflexions et solutions

Article rédigé dans le cadre du Petit Ramdam des tiers-lieux à Felletin (23)

Emmanuelle MAYER - Consultante, rédactrice, photographe | agence Elma Journaliste indépendante

Trop évidente, la mission d’accueil des tiers-lieux ? Dans les rencontres de tiers-lieux, on discute partenariats à tisser, modèles économiques à trouver, projets à initier, fonctionnements à formaliser… au point d’oublier l’un des fondamentaux : l’accueil. Cet accueil inconditionnel que l’on brandit en étendard, comment on l’organise ? Comment on en prend soin ? Retour sur le Petit Ramdam organisé par la Coopérative Tiers-Lieux le 3 avril 2024 à Felletin en Creuse.

ACCUEILLIR TOUTE PERSONNE, sans discrimination est un fondamental des tiers-lieux. Mais dans un contexte où facilitateurices et concierges sont de plus en plus surmené·es, pas toujours évident d’accueillir correctement toutes les personnes qui franchissent le seuil des tiers-lieux. Comme en témoigne Angelina, de La Cafetière (31) : « nos modèles économiques reposent sur la réponse à des appels à projets, on cherche à entrer dans des cases pour obtenir des financements, au point que l’on en vient à délaisser notre cœur de métier qu’est l’accueil ». Car l’accueil, ça prend du temps et beaucoup d’énergie.

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C’est quoi bien accueillir ?

De l’avis général, accueillir c’est d’abord écouter. Mais c’est aussi être capable de présenter le lieu et la communauté « afin que la personne y trouve sa place », souligne Baptiste de La Quincaillerie (23). C’est en effet là que se situe la spécificité de l’accueil en tiers-lieux par rapport à ailleurs : l’usager·e peut prendre part. « Mais il s’agit pas non plus de sauter sur la personne pour l’inciter à participer. »
Pour la coopérative Les Oiseaux de Passage, accueillir n’est pas juste recevoir mais bien proposer une expérience. Cette Scic rassemble des hébergeurs engagés et des agences de voyages alternatives. Leur objectif : permettre la rencontre avec un territoire plutôt que simplement proposer un hébergement confortable. « Nous voulons sortir du tourisme pour aller vers l’hospitalité, sortir du confort pour aller vers le réconfort », explique Samuel Bonneau, co-gérant. 

Cela rejoint les tiers-lieux car, dans les territoires ruraux, beaucoup jouent un rôle d’accueil des nouveaux habitant·es, en orientant mais aussi pour certains en proposant de l’hébergement temporaire (résidences d’artistes, logements passerelles…).Des tiers-lieux sont d’ailleurs membres des Oiseaux de Passage, comme Les Usines (86) ou La Métive (23), mais aussi des habitats jeunes comme le Barangaï K2 (ex foyer de jeunes travailleurs). Situé dans un quartier classé Politique de la ville de Poitiers (86), Barangaï K2 accueille étudiants, stagiaires, apprentis et jeunes actif·ves de 30 nationalités différentes. Le site abrite également un espace de coworking et une yourte qui accueille les animations des associations du quartier. « Même s’il y a des salarié·s dédié.es à l’accueil, nous faisons tous de l’accueil. Avec un objectif : « qu’il se passe quelque chose entre l’entrée et la sortie, qu’une transformation opère ».

Quoi de mieux pour illustrer que cette notion d’hospitalité que ce SDF qui fréquentait La Quincaillerie pour avoir accès à un espace chauffé avec du café : « Il a trouvé sa place dans la communauté des usager·es en devenant « monsieur cafetière » et a finalement trouvé un logement car une propriétaire de biens qui fréquentait les ateliers numériques lui a proposé un appartement », raconte Baptiste.

L’accueil, un métier social

À La Palette, tiers-lieu qui intègre une Maison France Services à Dun-le-Palestel (23), l’accueil a fait l’objet d’une longue réflexion. « Dans ma fiche de poste, il est écrit noir sur blanc « prendre le temps avec les usager·es », c’est très important pour moi », explique Élodie, l’une des chargées d’accueil, qui accompagne les personnes dans leurs démarches administratives. Mais la disponibilité ne suffit pas. Il faut être capable d’absorber des situations sociales difficiles et des états émotionnels à fleur de peau. « Dans une journée, je peux accompagner aussi bien une personne très stressée devant internet qu’une femme battue. » Comment réussir à se délester de ce poids émotionnel une fois sa journée terminée ? Élodie explique qu’ils ont créé un groupe de partage avec des collègues d’autres lieux. Un soutien précieux.

Un ancien conseiller numérique témoigne également des confessions reçues : « ça pouvait être très lourd, je n’étais pas du tout préparé à ça ! ». Nicolas, du Décapsuleur (23), ajoute que la décharge émotionnelle des usager·es sur les équipes des tiers-lieux peut aussi être de la colère, à cause de la situation sociale du pays : dégradation des services publics, inégalités qui ne cessent de se creuser… Pour Claire, fondatrice du Temps de Vivre à Aixe-sur-Vienne (87), « les travailleurs sociaux sont formés à encaisser tout cela, pas nous ». Anngaël de La Moulinette ajoute que « le métier de facilitateur de tiers-lieux, c’est une vocation, ça ne s’improvise pas après des études culturelles. »
Mélissa, de la Coopérative Tiers-Lieux, met en garde contre les risques psycho-sociaux, surtout quand « il y a un salarié-militant-fondateur qui porte tout ». Élise de Pépi’Nonière (23) ajoute que les bénévoles peuvent également souffrir d’épuisement, « surtout les profils bénévoles qui veulent sauver le monde et ne savent pas poser de limites. »
« Vous nous parlez de trop-plein, mais nous c’est l’inverse ! Nous avons créé des permanences numériques où personne ne vient », déplore Juliette, de Saint-Pierre-de-Frugie (24). Accueillir, c’est aussi savoir faire-venir !

L’accueil peut-il être réellement inconditionnel ?

La notion d’accueil inconditionnel soulève la question de l’accessibilité aux personnes en situation de handicap. Sur ce point, l’expérience a montré que l’on ne peut jamais tout anticiper : « il existe de nombreux handicaps, et certains ne sont pas visibles. Plutôt que de chercher à être parfaitement accessible à tous·tes, il vaut mieux travailler à être capable de s’adapter à toutes les situations. C’est un état d’esprit avant tout », explique Mélissa, de la Coopérative Tiers-Lieux.

L’accessibilité aux enfants est aussi importante, surtout dans les tiers-lieux qui proposent un café ou des animations pour les familles. Chaise haute, espace bébé, matériel pour dessiner sont de bonnes bases, mais certains vont plus loin. À Pang ! la Gare, le tiers-lieu de Felletin (23), tables et bancs de la salle d’activités ont une hauteur adaptable : enfants ou adultes.
L’accessibilité, c’est aussi financier. Voilà encore un point qui caractérise les tiers-lieux, par rapport à d’autres espaces collaboratifs : la volonté que les ressources financières ne soient pas un frein à la fréquentation. Certains pratiquent des tarifs volontairement accessibles, d’autres adaptent aux revenus ou au statut (gratuit pour les associations par exemple), d’autres encore proposent la participation libre et consciente.

Juliette, du Sonneur, s’interroge sur l’attitude à adopter avec les curieux·ses qui débarquent et veulent tout savoir du fonctionnement interne. « Accueil inconditionnel ne veut pas dire transparence totale ». Surtout dans le cas de tiers-lieux à qui l’on met des bâtons dans les roues. Il faut aussi savoir se prémunir des personnes désireuses de nuire.

Organiser concrètement l’accueil

→ Côté humain
Faut-il une borne d’accueil avec un·e secrétaire dédié·e ? C’est la question que pose Baptiste, fondateur de La Quincaillerie, tiers-lieu de la communauté d’agglomération du Grand Guéret. Dans le précédent bâtiment de La Quincaillerie, un ancien commerce, Baptiste avait installé son bureau de concierge là où était auparavant installée la caisse : « très efficace mais l’accueil repose alors sur une seule personne, qui n’a pas assez de temps pour faire autre chose ».
Pour Nicolas, du Décapsuleur, « la borne d’accueil, c’est un peu institutionnel. Nos lieux ne sont pas des Caf ». Dans les nouveaux locaux de La Quincaill’, pas de borne d’accueil, l’équipe salariée travaille dans l’espace commun et peut ainsi repérer les nouveaux·elles venu·es.
« Nous avons demandé aux contributeureuses s’ils souhaitaient accueillir et la réponse a été négative » s’amuse Baptiste. Dans les lieux qui n’ont pas ou peu de salariés, pas le choix, ce sont les bénévoles et contributeureuses qui se chargent de l’accueil. À La Renouée (23) et à La Cocotière (87), cela se fait naturellement. Mais ces lieux sont situés sur le plateau de Millevaches, territoire où la culture de l’auto-gestion est très présente. Au Sonneur, la mission est tournante : des référents « accueil » sont prévus chaque jour.
Quand il n’y a pas assez de ressources humaines, certains tiers-lieux mettent en place des boîtes à clés. Cela facilite l’accès quand l’équipe n’est pas présente, mais cela peut exclure les personnes mal à l’aise avec le système.
Dans les tiers-lieux où habitent des résidents permanents, comme les écolieux, l’accueil est encore plus complexe. Ainsi à l’Oasis Du Coq à l’Âme à Cellettes (16), l’équipe propose différents types d’accueil : stages, séjours immersifs, services civiques, jusqu’à la habitat permanent.
Dans tous les cas, la question du cadre est fondamentale pour que l’accueil se passe au mieux. Olivier Cagnon, fondateur de la ressourcerie du bâtiment ReMatBat (23) raconte son expérience passée à Court Circuit (23) : « Nous avons accueilli une grande diversité de bénévoles mais connu des déconvenues, donc nous avons créé un cadre de bénévolat hyper clair, avec un entretien à l’arrivée pour saisir les envies de la personne, ses possibles, et l’orienter au mieux. Ensuite, les bénévoles ont des référents désignés ».

→ Côté bâtiment

L’accueil passe également par l’aménagement des lieux, surtout quand il n’y a pas de borne d’accueil matérialisée. De l’avis de tout le monde, la signalétique est indispensable. Des panneaux pour indiquer les espaces mais aussi le fonctionnement, comme le ménage. À La Quincaill’, le panneau « l’auto-gestion s’applique aussi à la vaisselle » rappelle à chacun·e cette règle de base des espaces collectifs. À La Renouée (23), tous les placards de la cuisine sont étiquetés.
Mais la signalétique ne fonctionne pas dans tous les lieux, avec tous les types de publics. Ainsi, dans les écolieux habités, les visiteurs viennent dans le but d’entrer en contact avec les résidents, vivre une expérience sensible, pas s’approprier un espace avec des panneaux. 

Cela rejoint la notion d’hospitalité.
Au-delà de la signalétique, l’aménagement de l’espace joue un rôle trop souvent négligé. Pourtant, il témoigne de l’identité du lieu, participe à créer ou non une complicité avec les visiteureuses.
Ainsi, l’association Pang ! qui gère la Gare, le tiers-lieu de Felletin, s’est dotée d’une commission « esthétique » afin de penser l’aménagement et la décoration dès la phase de réhabilitation. L’envie était de préserver la mémoire du bâtiment originel -l’ancienne gare SNCF- mais aussi de concevoir un espace agréable, chaleureux, confortable. Le résultat : un lieu où alternent matériaux bruts laissés apparents et murs blancs, avec une décoration sobre et singulière, juste équilibre entre le café branché et le squat roots.
Comme le signale Karine Machat de la Coopérative Tiers-Lieux, penser l’accueil dans nos lieux inclut jusqu’à la diversité des boissons proposées. « L’accueil, c’est plein de détails qui n’en sont pas ! »

Conclusion : définir ses modalités d’accueil en fonction de son public

Alors, faut-il une personne dédiée à l’accueil ou des bénévoles tournants ? Une signalétique ou une borne d’accueil ? Des horaires d’ouverture ou une boîte à clés ? Un fonctionnement autogéré ou des fonctions définies ? Un canapé ou une bibliothèque ? Tout dépend du public, de ses besoins, de ses habitudes. Penser ses modalités d’accueil, c’est avant tout adapter ses possibles aux besoins de sa communauté, avec sa communauté.

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