prise en compte des lieux comme outils d’inclusion et de mobilisation des jeunes
Evolution de la perception institutionnelle des jeunes
Depuis une dizaine d’années environ, plusieurs études, travaux universitaires, mettent en évidence un fort sentiment de déconnexion et de décrochage des jeunes avec les institutions en raison notamment de la complexité des démarches à réaliser pour accéder aux dispositifs qui leur sont destinés :
- Une multiplication des acteurs de terrain et une difficulté à se coordonner sur les territoires
- Des critères d’accès aux dispositifs pouvant être perçus comme incohérents
- L’absence d’un réseau de facilitateurs, notamment au service des jeunes qui ne sont ni diplômés, ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEETs)
Néanmoins, les comportements institutionnels ont commencé à bouger.
Ainsi, il faut suivre avec attention certains messages (messagers ?), comme le rapport « Arrêtons de les mettre dans des cases » du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) remis en 2017 au gouvernement qui invite assez explicitement à ne plus penser la jeunesse à travers les âges et les statuts mais à l’envisager comme un parcours vers l’autonomie et l’insertion sociale et professionnelle.
Ou encore les travaux de Claire Bernot Caboche sur les jeunes « invisibles » (2018), des jeunes « confrontés à un déficit de confiance, qui ont du mal à trouver leur place dans la société, et dont une partie non négligeable d’entre eux est entrée en invisibilité » : ni en éducation, ni en formation, ni en emploi, ni en accompagnement.
En préconisant un nouveau modèle de société qu’il faudrait construire, nous pensons que ces messagers ont finalement très récemment ouvert la voie à de nouvelles politiques publiques dont l’enjeu est non seulement de renouer le contact avec les jeunes mais également de renouveler les modes d’action, en donnant un nouvel élan aux pratiques d’éducation populaire ou en permettant d’en expérimenter de nouvelles. C’est d’ailleurs dans ce cadre que plusieurs tiers-lieux ont eu la possibilité en 2019 de se positionner sur l’AAP « repérer et mobiliser les publics invisibles » portée par la Direccte.
L’exemple de Traverses parcours :
L’association réalise des recherches actions sur les aspirations des jeunes qui nous incitent à produire des expérimentations sociales, culturelles et collectives depuis 2008. Pour schématiser, quelque soit le territoire (urbain, rural), ce sont les mêmes éléments marquants qui ont guidé l’ouverture de la Fabrik coopérative (Paris 19), la Fabrik (Lacanau) ou le Young (Dax) :
- La nécessité pour les jeunes de s’émanciper de l’étiquette de « public cible »,
- Dans un espace accueillant, ouvert sans condition de lieu d’habitation ou de diplôme,
- Où l’on peut apprendre en faisant, à partir de ses aspirations,
- Où l’on peut formuler un projet, ou pas,
- Où les jeunes peuvent se constituer des expériences formatives et occuper des rôles sociaux valorisants.
Les questionnements autour de l’opérationnalité de ces constats nous ont amenés à considérer la démarche tiers-lieu, notamment dans sa dimension de communauté d’entraide, comme possible mise en oeuvre.
Réseau Information Jeunesse et évolution des lieux
Dans la même logique, le Réseau Information Jeunesse s’appuie sur l’évolution des lieux d’accueil pour réinventer son rapport aux jeunes.
Rappels sur l’Information Jeunesse
L’Information Jeunesse a pour objectif d’informer tous les jeunes sur tous les sujets en lien avec l’accès à leurs droits et à la construction de leur parcours vers l’autonomie. Elle prend la forme d’un réseau de plus de 130 structures en Nouvelle-Aquitaine, coordonnées et animées par le CRIJ Nouvelle-Aquitaine.
Initialement, les lieux d’Information Jeunesse étaient des guichets d’information, où un.e informateur.rice jeunesse livrait des informations aux jeunes venus dans cet objectif.
Ceux-ci n’avaient alors pas de raison particulière de rester ou revenir dès lors qu’ils avaient eu leur réponse. De la documentation était également mise à disposition, en consultation autonome ou non. L’interaction était donc limitée, le lieu étant mono-fonctionnel, c’est-à-dire destiné à apporter de l’information en réponse à une sollicitation.
Une baisse de la fréquentation des lieux
La révolution numérique et la transformation radicale de l’accès à l’information qu’elle a entraîné ont fortement impacté les structures Information Jeunesse. Si les professionnels de l’IJ ont investi le champ du numérique (contenus en ligne, Education aux Médias et à l’Information, développement des EPN), les lieux Information Jeunesse ont subi une baisse importante de leur fréquentation depuis les années 2000. La dimension fonctionnelle qu’ils assumaient jusqu’alors pouvant désormais être accomplie par des recherches en ligne. Ainsi l’enjeu de la réinvention des lieux pour renouer avec leur attractivité et la fréquentation du public s’est avéré fondamental.
Un intérêt croissant pour les tiers-lieux
Le CRIJ Poitou-Charentes a été précurseur dans son intérêt pour les tiers-lieux : sociétaire de la Coopérative Tiers-Lieux, participation à la création de l’espace Cobalt (86), et expérimentation du tiers-lieu Jardin Public dans ses locaux (86).
Avec la démocratisation récente des tiers-lieux, devenus plus accessibles et plus ouverts à tous types de public, notamment aux jeunes, le Réseau Information Jeunesse a compris l’intérêt de réinventer ses lieux d’accueil sous cette forme pour en faire des lieux jeunesse multi-fonctionnels reposant sur des dynamiques de participation (communautés de jeunes, appropriation du lieu par les jeunes) et de coopération (lieux « foisonnants » ouverts aux partenaires). Les structures IJ deviennent ainsi des espaces vivants d’échanges et de rencontres dédiés aux jeunes, d’où peuvent naître des idées, des dynamiques et des projets nouveaux.
Le projet inspiration tiers-lieux
Afin de faciliter cette mutation de l’IJ, le CRIJ NA a initié le projet Inspiration Tiers-Lieux qui vise à animer et accompagner un groupe pilote d’une dizaine de structures Information Jeunesse expérimentant un projet d’évolution de leur lieu d’accueil.
L’intention est de changer l’image et la visibilité des lieux IJ devenus des lieux participatifs hybrides dédiés à la jeunesse favorisant la rencontre, l’échange, le partage et la créativité, et interagissant avec les acteurs et ressources du territoire. Le projet a démarré en décembre 2019 par une première rencontre du groupe puis par une journée de réflexion et d’échanges intitulée « Voyage au pays des tiers-lieux » à La Rochelle (17) coordonnée en partenariat avec la Coopérative Tiers-Lieux début 2020. Ralenti par le contexte sanitaire et l’attente des retours de l’AMI « Fabrique de Territoire » pour lequel le projet n’a finalement pas été retenu, celui-ci a repris début 2021. Au programme cette année, des échanges individuels et collectifs, des temps de formation et de mise en commun entre le CRIJ et les membres du groupe. Il aboutira en 2022 à la rédaction d’un « Cahier d’inspiration », un recueil des capitalisations du projet qui permettra à d’autres structures du réseau régional et Réseau Information Jeunesse national de s’approprier la démarcher et de l’essaimer.
L’avènement ou le déploiement des tiers-lieux ne serait-il pas à rapprocher de la remise en question, au début des années 2000, du modèle des Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) et autres Maisons Pour Tous ? D’un essoufflement de l’animation socio-culturelle dont la mission première était d’accompagner les groupes à travailler, analyser et élaborer collectivement des initiatives dans les quartiers populaires ? C’est une hypothèse, mais peut-être peut-on avancer sans trop se tromper que la démarche tiers-lieu symbolise, tant du point de vue du terrain que de celui des institutions, dans un double mouvement, une forme de quête à la perte de repères des jeunes (mais pas que des jeunes) et de recherche d’un destin collectif dans un contexte de crise sociale sévère.
Odile GINOCCKI – Traverses Parcours Anne-Louise MARTINAT, Siegfried BURGEOT et Arnaud VIRRION – CRIJ Nouvelle-Aquitaine
Pour aller plus loin…
Quelques éléments développés en Bourgogne Franche-Comté dans le cadre de la mise en oeuvre du PRIC
Un changement de politique publique « jeunesse » nécessite de travailler sur les freins à l’adhésion des jeunes « invisibles ». On ne peut remobiliser un jeune et le remettre à l’arrêt parce qu’il ne rentre pas dans la bonne case, donc il est nécessaire d’assouplir, voire effacer, les frontières entre territoires, donc généraliser la gestion ouverte des franges pour permettre l’accueil des jeunes « invisibles » en fonction de l’éloignement et non de l’appartenance à un territoire ; d’adapter le nombre de places disponibles dans les dispositifs ou établissements en élargissant l’assiette d’accueil en fonction des besoins réels ; d’adapter le financement, en le rendant plus souple et attaché aux besoins réels du jeune, sans rupture, mais également en travaillant sur la pérennité des financements structurels des structures d’accueil pour « fidéliser » les acteurs ; d’assouplir le périmètre de l’âge pour bénéficier des dispositifs : passer de 15-26 à 15-29 ans qui pourrait, pourquoi pas, être élargi à 15-34 ans comme plusieurs pays l’ont déjà fait ; de faciliter l’accès et l’accompagnement à la mobilité (transport, logement…), l’habitat autonome, la santé (développer la prise en charge psychologique indispensable…) ; d’assouplir les conditions d’accès à la formation professionnelle qualifiante, en développant une plateforme régionale d’accès aux stages, en respectant les choix des jeunes, en réduisant le temps d’attente d’entrée en formation en proposant des entrées/sorties permanentes ou plus rapprochées… ; de réfléchir à la création d’un sas d’accueil intermédiaire en relation avec le Service Public Régional de l’Orientation (SPRO) pour gérer la mise en place de l’accompagnement unique, de l’orientation, de l’attente d’une place en formation professionnelle si entrée/sortie différée, travailler sur la citoyenneté et le sentiment d’injustice ; de développer les relations avec le monde économique en travaillant sur la professionnalisation et notamment la Préparation Opérationnelle à l’Emploi (POE), mais aussi en encourageant les entreprises à faire vivre la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) avec l’élargissement de la capacité d’accueil en apprentissage par alternance et en stage et, l’assouplissement de l’exigence d’expérience professionnelle en prérequis à toute embauche… Une fois ces freins levés, la remobilisation des jeunes « invisibles » sera moins chaotique.
LA CARTOGRAPHIE DE L’OFFRE « JEUNESSE », outil de diagnostic territorial à l’échelle des communautés de commune, a pour but :
1) De faciliter l’accès à l’information des jeunes, de leurs proches, ainsi que des acteurs,
2) D’acquérir une connaissance globale de l’offre pour notamment affiner le maillage territorial,
3) Permettre l’ajustement de l’offre suivant la demande des jeunes,
4) De sensibiliser les acteurs à la nécessité de travailler en partenariat.
Cet « Agenda social de la jeunesse » rassemble tous les besoins des jeunes autour de cinq grands thèmes.
Claire Bernot-Caboche