Repères historiques sur les communs

Article extrait de la Revue sur les tiers-lieux N°8 | sept. 2021

Timothée Duverger - Maître de conférences associé à Sciences Po Bordeaux

Les communs sont de retour, tant du point de vue des travaux académiques que des pratiques sociales ou du débat politique. Cette résurgence tient notamment aux mutations liées à la crise écologique et à la transformation numérique, qui remettent en cause la sacro-sainte propriété privée face aux phénomènes de nouvelles enclosures.

Loin d’un simple effet de mode, c’est à une histoire longue que renvoient les communs. Au droit romain d’abord, qui reconnaissait les res communes, choses disponibles pour tous et inappropriables (l’air, l’eau…).

Au Moyen- ge ensuite, où des terres, des prés et des forêts régis par le droit coutumier, permettaient à chacun de faire paître ses animaux ou de ramasser du bois de chauffage. Ces terres pouvaient relever d’une propriété communautaire ou appartenir à des institutions, des seigneurs, des personnes privées… Elles avaient en tout cas la particularité d’être soumises à des droits d’accès et d’usage et de prévoir le plus souvent une participation des utilisateurs à leurs systèmes de gestion (tribunaux seigneuriaux ou du village, agents de contrôle).

Ces communaux ont subi un mouvement d’enclosures à partir du XVIe siècle en Angleterre et du XVIIIe siècle en France. Il s’agissait de clôturer les terres communales pour en privatiser l’exploitation, cela marquant l’avènement de la propriété privée individuelle et exclusive.

Le débat sur les communs est renouvelé par la publication en 1968 d’un article séminal de Garett Hardin : « The Tragedy of the Commons », dans la revue Science. Cet écologue américain y présente le cas d’un pâturage dont l’usage collectif par les éleveurs conduit à la surexploitation et à l’épuisement de la ressource. Il en conclut à des solutions privées ou publiques en matière de propriété.
À partir de nombreuses études de cas portant sur les fonds de ressources communes (terres, pêcheries, forêts, nappes phréatiques, systèmes d’irrigation) à la fois rivaux et non exclusifs*, Elinor Ostrom a alimenté le débat en mettant en avant le rôle régulateur des normes sociales et des arrange­ments institutionnels attachés aux biens communs. Ses travaux empiriques ont été consacrés en 2009 lorsqu’elle a remporté le prix Nobel d’économie.

Une nouvelle génération de communs est apparue depuis, dans le sillage des communs informationnels qui désignent les ressources littéraires, artistiques, scientifiques et techniques dont la production ou l’accès sont intégrés dans un système de droits et une structure de gouvernance collective. On y retrouve par exemple les bases de données numériques à accès partagé, les bibliothèques numériques d’œuvres littéraires, les encyclopédies en ligne… Intangibles, les communs information­nels sont non rivaux et orientés vers l’enrichissement et non la préservation des ressources. D’autres communs ont émergé depuis, qu’ils soient territoriaux ou urbains, culturels ou sociaux.

Cette diversité repose sur trois principes, qu’établit Benjamin Coriat dans une filiation ostromienne : « Il n’est de commun que si autour d’une ressource donnée sont établis un système de répartition des droits (accès, prélèvement, addition, aliénation…) et une structure de gouvernance veillant au respect des droits et obligations de chacun des participants au commun. »

Dans l’économie sociale et solidaire (ESS), comme le souligne Francesca Petrella, cela aboutit à ordonner les principes de réciprocité et d’autogouvernement autour des activités communes, correspondant à des ressources sociales pouvant toucher à l’emploi, au logement… Le recours aux communs constitue la principale innovation théorique de l’ESS ces dernières années. Beaucoup de chercheurs et d’acteurs se sont mobilisés, notamment à travers les colloques de Cerisy ou les Journées du Réseau inter-universitaire de l’ESS, comme les travaux de la Coop des communs ou des Chaires ESS des Hauts de France ou de Marne-la-Vallée.

 

*Un bien rival est un bien dont la consommation par un agent diminue la quantité disponible pour les autres agents. Un bien exclusif est un bien dont un propriétaire peut contrôler l’accès.

La notion de communs sociaux trouve en particulier un écho dans l’économie sociale. Une recherche-action de Pierre Sauvêtre en fournit un idéal-type à partir de quelques critères :

Recherche d’une finalité commune

sociale et solidaire

Coopération dans l’égalité des conditions de travail

Formation d’un intérêt commun

par la gouvernance collective à partir de la diversité des intérêts mutuels

Dispositifs de participation

des bénéficiaires de l'activité

Citoyenneté économique

Le territoire comme espace objectif

de délimitation des communs sociaux

L’inter-coopération

entre les communs sociaux

La co-construction

des politiques publique

Droit social

des exclus à la participation au commun social

Bibliographie indicative

Le retour des communs - La crise de l’idéologie propriétaire

Benjamin Coriat (dir.), Paris, Les Liens qui Libèrent, 2015.

Gouvernance des biens communs - Pour une nouvelle approche des ressources naturelles

Elinor Ostrom, Bruxelles, De Boeck, 2010.

Les propriétés collectives face aux attaques libérales (1750-1914)

Paul Warde, « La gestion des terres en usage collectif dans l’Europe du Nord-Ouest », in Marie-Danielle Demélas et Nadine Vivier (dir.), Rennes, PUR, 2003, p.61-77.

Dictionnaire des biens communs

Francesca Petrella, « Économie sociale et solidaire », in Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld (dir.), Paris, PUF, 2017, p.497-502.

Les « communs sociaux » : une métamorphose de l’économie sociale et solidaire ?

Pierre Sauvêtre, Rapport pour la Chaire ESS Nord­-Pas-de-Calais-Picardie, 2018.

Les communs - Des jardins partagés à Wikipédia

Jean-Benoît Zimmerman, Paris, Libre & Solidaire, 2020.

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